Sleipnir, monture d’Odin : le cheval à 8 jambes au centre de nombreux récits
Vous saurez bientôt tout sur Sleipnir, le cheval à 8 jambes, monture mythique d’Odin !
Le plus puissant des douze chevaux des dieux (1)Sleipnir n’est pas le seul cheval à Asgard : les dieux Ases traversent quotidiennement sur leurs chevaux le Bifröst, le pont arc-en-ciel qui relie le monde des dieux à celui des humains. L’Edda nous précise leur nom : Glad, Gylli, Glen, Skeidbrimir, Sillfrintopp, Sinir, Sleipnir, Gisl, Falhofnir, Gulltopp et Lettfeti. Ouf ! Oui, cela ne fait que onze noms… Le douzième est le cheval de Baldr, qui meurt avec son maître lors des funérailles de ce dernier. ! Les circonstances de sa naissance sont savoureuses – et prouvent que les dieux nordiques ne sont pas toujours très honnêtes…
La naissance étonnante de Sleipnir
Un jour, un maître-bâtisseur vient trouver les dieux et leur propose de construire un fort assez solide pour les protéger de leurs ennemis jurés, les Géants des montagnes et les Géants du givre. En échange, il réclame Freyja, la déesse de l’Amour, ainsi que la Lune et le Soleil. Rien que ça ! Le maître-bâtisseur prétend qu’il peut venir à bout de la construction en 3 semestres. Les dieux acceptent sa proposition, à condition qu’il construise le fort en un seul hiver, et sans recevoir l’aide d’aucun autre homme. En concluant ce marché, les dieux considèrent qu’ils ne prennent pas beaucoup de risques, la tâche étant rigoureusement impossible. Même eux, les êtres les plus puissants des Neuf Mondes, en seraient incapables !
Le marché est conclu… et le maçon peut maintenant sortir sa botte secrète : le cheval Svadilfœri !
Cet étalon possède une force prodigieuse permettant le transport et l’assemblage d’énormes blocs de rochers. Et, au prix d’incessants efforts, l’impossible se produit : à quelques jours de la fin de l’hiver, le fort est pratiquement fini… Il ne reste plus que la porte à construire – une formalité !
S’ils ne veulent pas perdre leurs biens les plus précieux, les dieux doivent réagir. Trois jours avant la date limite, Loki, dieu aussi fourbe qu’intelligent, se transforme en une magnifique jument et s’approche de Svadilfœri. La ruse fonctionne : ce dernier devient fou d’amour et se lance à sa poursuite, oubliant ses dernières tâches pour terminer le chantier.
Usant à merveille de son sex-appeal équin, Loki-déguisé-en-Jument éloigne le cheval de son maître et le fait courir sans relâche… Le maître-bâtisseur, rendu fou de rage par cette ruse indigne des dieux, dévoile enfin sa vraie nature : il est en réalité un Géant des Montagnes qui voulait, au prix de ses efforts, s’emparer de la Lune, du Soleil et de la déesse de l’Amour !
Thor, le fils d’Odin, est appelé à la rescousse pour mettre un terme à cette mascarade. Grâce à son marteau Mjöllnir, il fend le crâne du Géant. Fin de l’histoire. Les dieux sont heureux : ils viennent de gagner une forteresse imprenable au milieu d’Asgard, sans débourser le moindre centime.
Quel rapport entre cette histoire et Sleipnir ? Eh bien, à force d’exciter l’étalon Svadilfœri, Loki-déguisé-en-Jument est victime de son propre piège ! Il ne peut échapper longtemps au désir du cheval… et met au monde quelque temps plus tard un cheval à 8 jambes… Sleipnir, bien sûr (2)Quant à Svadilfœri, son père, on ignore ce qu’il est devenu… Il n’intervient plus dans aucun autre mythe. !
Une course entre Sleipnir et Gullfaxi à l’issue dangereuse
Mais Odin n’en n’a pas fini avec la race des Géants. Chevauchant sur Sleipnir, il se rend au Jotünheim, le pays des Géants (3)Les Neuf Mondes de la mythologie nordique, soutenus par l’arbre cosmique Yggdrasil, se décomposent comme suit : Ásgard, le royaume des dieux Ases ; Vanaheim, le royaume des dieux Vanes ; Álfheim, le royaume des elfes clairs ; Midgard ou Mannheim, le royaume du milieu aussi appelé royaume des hommes ; Jötunheim, le royaume des géants ; Svartalfheim, le royaume des elfes sombres (parfois confondus avec les Nains) ; Niflheim, royaume des Brumes et des Nibelungen, Muspellheim, le royaume du feu et enfin Helheim, le royaume des morts, où séjournent tous ceux qui sont morts ailleurs que sur le champ de bataille.. Il y rencontre un certain Hrungnir, le plus fort des géants qui est étonné de la présence du dieu et encore plus de son cheval extraordinaire capable de chevaucher sur les mers et dans les airs. Mais, déclare-t-il, son propre cheval nommé Gullfaxi (littéralement, « crinière d’or ») est sans doute plus rapide encore (4)L’Edda précise qu’Odin portait un « casque d’or » lors de sa rencontre avec Hrungnir. Un casque d’or pour le dieu, une crinière d’or pour le cheval de son ennemi… Ce détail laisse entrevoir l’issue du conflit : Gullfaxi, par ses attributs hors du commun, était destiné à rejoindre le monde des Ases. !
Face au mépris affiché d’Odin, Hrungnir entre dans une folle colère. Il enfourche Gullfaxi et tente de dépasser le dieu et sa monture à la course. Hélas, même s’il est lui aussi capable de survoler les mers et les montagnes, Gullfaxi est moins rapide que Sleipnir ; ce dernier parvenant même à maintenir en permanence une avance d’une colline sur son poursuivant.
Aveuglé par la colère, Hrungnir ne se rend pas compte qu’il quitte le Jotünheim pour pénétrer dans Asgard, le domaine des dieux. Le voilà bientôt au pied de la forteresse construite quelques années plus tôt par le maître-bâtisseur géant. Là, sans doute pour faire étalage de leur puissance, les dieux l’invitent à entrer et à partager avec eux un fastueux banquet.
Le Géant accepte et le voilà en train de manger (et surtout de boire !) à la table des dieux. L’alcool aidant, il devient de plus en plus agressif et irrespectueux : un jour viendra, dit-il, où les Géants s’accapareront les biens d’Asgard et tueront tous les dieux. Seule la déesse Freyja (encore elle) échapperait à leur courroux et serait emmenée comme captive au Jotünheim.
Trop, c’est trop pour Thor qui se saisit de son marteau pour anéantir le présomptueux Hrungnir ! Mais ce dernier l’arrête dans son élan, déclarant qu’un fils d’Odin n’aurait pas grande gloire à tuer un ennemi désarmé… Il l’invite plutôt à se battre lors d’un duel équitable au domaine des Champs de pierres, à la frontière entre Asgard et Jotünheim (5)En 2019, sans doute inspiré par ce mythe, les deux chanteurs-poètes Kaaris et Booba firent de même en s’invitant mutuellement à régler leur différend dans un octogone pour un combat de MMA.. Fidèle au code de l’honneur des dieux – pourtant tout relatif, on se souvient du meurtre du géant maître-bâtisseur – Thor accepte. Hrungnir rentre chez lui pour se préparer au combat. Quand il apprend la nouvelle aux autres Géants, tout le monde panique : que se passera-t-il si lui, le plus puissant d’entre eux, est défait par Thor ?
C’est que Hrungnir n’est pas un géant ordinaire : il possède un cœur de pierre (au sens littéral du terme !) aux bords tranchants et son arme favorite est une pierre à aiguiser qu’il lance puissamment à la figure de ses ennemis.
Combat entre Thor et Hrungnir
Pour mettre toutes les chances de leur côté, les Géants fabriquent un être d’argile mesurant neuf lieues de haut à qui ils insufflent la vie en lui greffant le cœur d’une jument (6)Un cheval, encore ! On notera de nouveau son importance symbolique dans les récits nordiques.. Ainsi naît le géant d’argile Mokkurkalfi qui combat aux côtés de son créateur. Mais son aide n’est pas du tout précieuse… le géant d’argile est tellement pleutre qu’il s’urine dessus lorsqu’il voit Thor arriver au loin !
Étonnamment, Thor vient également accompagné de son serviteur Thialfi, un fils de paysan réputé pour être l’homme le plus rapide sur Terre.
Le combat est rapide et parfaitement symétrique : Thor lance son Marteau en direction de Hrungnir, et Hrungnir lance son rocher en direction de Thor… À mi-course, les deux armes s’entrechoquent. La pierre du Géant se fend en deux et, à l’endroit où l’un des morceaux retombe est à l’origine de la naissance des montagnes. L’autre morceau vient se planter dans le crâne de Thor qui tombe à terre. Mais son Marteau continue sa course et vient mettre en miettes le crâne du Géant. Ainsi périt Hrungnir… Quant à Mokkurkalfi, le géant d’argile, le serviteur de Thor se rue sur lui et le tue sans peine (7)On peut se demander l’intérêt du personnage de Mokkurkalfi, dont la durée de vie n’excéda pas quelques minutes et qui n’influa en rien sur le combat… Peut-être existe-t-il seulement dans le récit pour insister sur le caractère démiurge d’Odin, aussi surnommé l’Alfodr – le All-Father – c’est-à-dire le Père de Tout ?.
Thor, victorieux, donne finalement le cheval Gullfaxi à son fils Magni, contre l’avis d’Odin qui aurait préféré le posséder lui-même. Qu’importe au fond, car les choses rentrent dans l’ordre : un cheval aussi extraordinaire que lui, capable de rivaliser avec la monture du dieu des dieux en personne, ne pouvait rester aux mains de créatures aussi triviales que les Géants.
Sleipnir le psychopompe
On retrouve également Sleipnir dans un des récits majeurs de la mythologie nordique, celui de la mort de Baldr. Fils d’Odin et de Frigg, ce dieu de la beauté et de l’amour rêve qu’il va mourir. Prémonition ? C’est ce que pense Frigg, qui demande aussitôt aux végétaux, aux minéraux et à tous les êtres vivants de la Terre de jurer qu’ils ne causeront jamais le moindre mal à son fils. Baldr devient ainsi invulnérable… Mais Loki parvient à obtenir par la ruse une information capitale : seul le gui n’a pas fait le serment de protéger le dieu. Jugeant le gui trop fragile, Frigg n’a pas estimé utile de le lui demander. Loki arme ainsi le bras de Höd, le dieu aveugle, d’une branche de gui pour transpercer le corps de Baldr…
Le Dieu de l’amour est ainsi envoyé à Helheim, le royaume des morts… En tuant Baldr, Loki a du même coup privé d’amour et de bonté l’univers tout entier. Il ne peut en être ainsi. Hermod, le frère de Baldr, monte sur le dos de Sleipnir et part pour Helheim dans le but de convaincre Hel, la maîtresse des lieux, de laisser revenir Baldr dans le monde des Vivants. Hel accepte à la seule condition que tous les êtres vivants des Neuf Mondes pleurent sincèrement la mort du dieu.
Tout le monde s’exécute… à l’exception de Loki, bien entendu, qui prend les traits d’une Géante pour passer inaperçu. Ainsi, la promesse de Hel de libérer Baldr ne peut être tenue : le dieu reste dans le Helheim jusqu’au Ragnarök, le Crépuscule des dieux, dans lequel il jouera un rôle majeur… mais c’est une autre histoire !
Dans ce récit, Sleipnir apparaît donc comme la seule monture capable de pénétrer dans Monde des Morts. Cette « descente en enfer » a transformé la figure de Sleipnir en une divinité psychopompe, adjectif qualifiant les êtres destinés à accompagner les défunts dans « l’après-vie ». Il est aussi parfois assimilé à Helhest, un cheval à trois jambes vivant dans Helheim servant de monture à Hel.
Bibliographie
1/ L’Edda en prose de Snorri Sturlusson, chapitre 42. Je me suis basé sur la traduction de François-Xavier Dillmann (aux éditions Gallimard – L’aube des peuples), un livre que je vous recommande pour la finesse de sa traduction et ses notes très pointues. La traduction de Rosalie du Puget (1838), un peu datée, est aussi disponible sur Wikisource.
Un mot sur l’Edda : il s’agit d’un texte écrit au XIIe siècle par un érudit nommé Snorri Sturlusson (1179 – 1241). Il s’agit d’une des principales sources sur la mythologie nordique, même s’il faut parfois s’en méfier : l’auteur évoque des mythes qui ont pris naissance plusieurs siècles plus tôt et a tendance, parfois, à les « christianiser ». Ainsi le monde des morts ressemble étrangement à l’Enfer chrétien et le Ragnarök a des airs d’Apocalypse de Saint-Jean (ce qui n’était sans doute pas le cas à l’époque Viking).
2/ La Volsunga saga, texte datant du XIIIe siècle. Texte non disponible sur le net… il va falloir passer à la caisse pour acheter le livre : Sagas légendaires islandaises, traduction de Régis Boyer. Un livre de référence, indispensable !
3/ L’Edda poétique, recueil anonyme de chants et de poèmes composés entre le VIIIe et le XIIIe siècle. Traduction lisible sur le net à cette adresse : ragnarok.fr.
4/ La Geste des Danois de Saxo Grammaticus
5/ Hávamál , poème de l’Edda poétique, dans lequel Odin est confronté à une succession de problèmes et de dilemmes. Traduction partielle à lire sur ce site amateur ou, bien sûr, dans un ouvrage plus sérieux traduit par Régis Boyer, un linguiste reconnu : L’Edda poétique (livre aussi intéressant que sa couverture est moche !)
6/ Pour une lecture moins pointue et plus axée vers le « grand public », je vous conseille La Mythologie Viking de Neil Gaiman (se lit comme un roman – à réserver pour une première approche et s’initier en douceur !)
Notes
1. | ↑ | Sleipnir n’est pas le seul cheval à Asgard : les dieux Ases traversent quotidiennement sur leurs chevaux le Bifröst, le pont arc-en-ciel qui relie le monde des dieux à celui des humains. L’Edda nous précise leur nom : Glad, Gylli, Glen, Skeidbrimir, Sillfrintopp, Sinir, Sleipnir, Gisl, Falhofnir, Gulltopp et Lettfeti. Ouf ! Oui, cela ne fait que onze noms… Le douzième est le cheval de Baldr, qui meurt avec son maître lors des funérailles de ce dernier. |
2. | ↑ | Quant à Svadilfœri, son père, on ignore ce qu’il est devenu… Il n’intervient plus dans aucun autre mythe. |
3. | ↑ | Les Neuf Mondes de la mythologie nordique, soutenus par l’arbre cosmique Yggdrasil, se décomposent comme suit : Ásgard, le royaume des dieux Ases ; Vanaheim, le royaume des dieux Vanes ; Álfheim, le royaume des elfes clairs ; Midgard ou Mannheim, le royaume du milieu aussi appelé royaume des hommes ; Jötunheim, le royaume des géants ; Svartalfheim, le royaume des elfes sombres (parfois confondus avec les Nains) ; Niflheim, royaume des Brumes et des Nibelungen, Muspellheim, le royaume du feu et enfin Helheim, le royaume des morts, où séjournent tous ceux qui sont morts ailleurs que sur le champ de bataille. |
4. | ↑ | L’Edda précise qu’Odin portait un « casque d’or » lors de sa rencontre avec Hrungnir. Un casque d’or pour le dieu, une crinière d’or pour le cheval de son ennemi… Ce détail laisse entrevoir l’issue du conflit : Gullfaxi, par ses attributs hors du commun, était destiné à rejoindre le monde des Ases. |
5. | ↑ | En 2019, sans doute inspiré par ce mythe, les deux chanteurs-poètes Kaaris et Booba firent de même en s’invitant mutuellement à régler leur différend dans un octogone pour un combat de MMA. |
6. | ↑ | Un cheval, encore ! On notera de nouveau son importance symbolique dans les récits nordiques. |
7. | ↑ | On peut se demander l’intérêt du personnage de Mokkurkalfi, dont la durée de vie n’excéda pas quelques minutes et qui n’influa en rien sur le combat… Peut-être existe-t-il seulement dans le récit pour insister sur le caractère démiurge d’Odin, aussi surnommé l’Alfodr – le All-Father – c’est-à-dire le Père de Tout ? |
Complexe mais intéressant !
Vous allez au bout des choses, ce qui est plaisant.
Après, quand comme moi on n’y connaît rien, c’est difficile à suivre… Mais je m’accroche !
Les chevaux Svadilfari et Gullfaxi auraient pu ne faire qu’un. Cela aurait donné plus de logique au récit !
Là, les auteurs introduisent le premier cheval aux propriétés extraordinaires dans le récit.
Puis, ils l’oublient et en intègrent un autre qui a, lui aussi, des propriétés extraordinaires…
Ça aurait eu plus de gueule une course mère / fils entre Svadilfari et Sleipnir !
Oui, je sais, je réécris l’histoire… 🙂
Comme la dernière fois, la bibliographie ajouté un vrai plus à l’article. Merci pour cet effort !
Sleipnir est très connu (même si sûrement moins que Pégase, autre cheval mythologique célèbre) mais on constate qu’il n’apparaît pas non plus dans des mythes innombrables…
C’est quand même drôle cette façon qu’ont les dieux et les géants à se détester tout en se cotoyant régulièrement dans les histoires et légendes nordiques. En tout cas, très intéressant ce condensé des principales histoires de Sleipnir.